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L'ENSP forme les trois corps actifs à la saisie des avoirs criminels

© ENSP

Le crime ne doit pas payer ! C’est un adage auquel tient particulièrement le commandant de police Patricia MATHYS, chef de la PIAC (Plateforme d’identification des avoirs criminels). Intervenante à l’ENSP au cours du stage intitulé « La saisie des avoirs criminels », elle s’est adressée cette semaine aux trois corps de la police nationale (12 commissaires, 4 officiers et 3 gradés), réunis autour de cette thématique parfois incomprise ou oubliée. Elle a accepté de répondre à nos questions :

 

 

- Vous intervenez cette semaine au cours du stage intitulé « La saisie des avoirs criminels ». En tant que chef de la PIAC quel message avez-vous livré aux stagiaires ?

« Il faut absolument penser à mener un volet patrimonial dans les enquêtes pénales, afin qu’on puisse récupérer les avoirs criminels, c’est-à-dire le butin. Ce n’est encore pas assez souvent fait par les enquêteurs. Pour plusieurs raisons. D’abord cela peut paraître compliqué et ensuite il faut des moyens humains et des connaissances. Monter ce volet patrimonial en parallèle d’un dossier délictuel ou criminel cela prend du temps. Cela va retarder d’autant l’envoi de l’enquête au Parquet, au juge d’instruction… donc ça paraît un peu incompatible avec la charge de travail du quotidien dans un commissariat et c’est oublié. Pourtant, malheureusement, attaquer les criminels au portefeuille c’est finalement la plus grosse des sanctions !

Le but de ce stage est donc de vulgariser cette enquête de patrimoine afin que les enquêteurs prennent conscience que ce n’est pas si compliqué, qu’il y a des services spécialisés comme le GIR, les correspondants de la PIAC, les PIAC territoriales… qui sont là pour les aider, les décharger de ce volet patrimonial. On ne peut plus, en 2020, se passer d’aller rechercher le produit du crime ».

 

- Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la PIAC? Vos missions touchent-elles uniquement le grand banditisme?

« Il s’agit de la Plateforme d’identification des avoirs criminels, basée à la DCPJ. Elle devrait devenir bientôt un office central. Non !  La PIAC n’est pas réservée au grand banditisme ou à la criminalité organisée, pas du tout ! À partir du moment où un petit trafiquant de stups, avec 3000 € s’achète un scooter, nous devons agir sur cet avoir criminel et saisir ce scooter. Il est hors de question de pouvoir s’enrichir en commettant un crime ou délit. L’adage est de dire que le crime ne doit pas payer ! Quelle que soit l’infraction elle ne doit pas être profitable pour l’auteur.  85 % des crimes ou délits en France sont commis dans un but de profit. Ce qui voudrait dire que dans 85 % des cas il faudrait s’attaquer aux avoirs criminels pour être sûr que la personne est punie. La vraie répression c’est de rétablir la surface financière d’un individu telle qu’elle existait avant la commission de l’infraction.

En sachant qu’en plus cela peut être profitable aux victimes puisque nous avons maintenant un nouveau dispositif permettant aux victimes, souvent délaissées jusqu’à présent, de pouvoir se faire payer les dommages et intérêts auxquels elles ont droit sur le produit des biens qui sont confisqués par la juridiction de jugement dans le cadre de leur affaire ».

- Quelles sont les dernières évolutions juridiques en matière de saisie des avoirs criminels ? Quel est le champ d’action des policiers ?

« La loi du 9 juillet 2010 a institué une procédure pénale de saisie des biens. Elle a ensuite été complétée par plusieurs lois entre 2012 et 2019, venues modifier les imperfections d’origine. Aujourd’hui notre dispositif est un des plus performants en Europe ! Le champ d’action des policiers et des magistrats est donc très large avec des possibilités de confiscations très étendues. On peut aujourd’hui aller bien au‑delà de la confiscation du produit du crime. Pour certaines infractions graves, notamment des infractions de criminalité organisée, nous pouvons confisquer l’ensemble du patrimoine d’un individu condamné, y compris un patrimoine acquis légalement ».

- Mais alors, une fois saisis, que deviennent les avoirs criminels ?

« Il faut d’abord faire la distinction entre deux périodes. Avant le jugement, les biens sont saisis, il faut les gérer. Une fois que la juridiction de jugement a prononcé la confiscation on passe à une période de gestion des biens confisqués.

Les biens saisis doivent être stockés. Ils vont pouvoir être vendus avant le jugement pour justement éviter les frais très élevés de gardiennage. Cette possibilité existe mais n’est pas encore complètement appliquée par les magistrats, bien que cette mesure existe quel que soit le cadre de l’enquête (préliminaire, flagrant délit, commission rogatoire ou information judiciaire). L’autre possibilité est également d’attribuer les biens saisis à un service, de police, de gendarmerie, des douanes ou de police fiscale, à partir du moment où le service exerce des fonctions de police judiciaire. Il s’agit là de bien meubles qui se déprécient dans le temps. En réalité on retrouve ici essentiellement des véhicules car il y a nécessité de diversifier le parc automobile puisque nous sommes souvent repérés par les voyous qui connaissent par cœur les voitures de police, même les voitures banalisées. Mais on peut aussi obtenir des biens meubles tels que des appareils photos, ordinateurs, téléphones performants ou imprimantes, parfois même des biens plus atypiques comme une presse hydraulique, un camion de remorquage ou un camion de ramassage des ordures qui s’avère très utile pour les planques ou les filatures ! Enfin, et c’est très important, depuis la naissance de l’AGRASC ( Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués)  lorsqu’une somme d’argent est saisie et qu’il faut finalement la restituer (lorsque la personne arrive à justifier cette somme), il y a désormais une enquête pour savoir si l’individu n’est pas redevable, s’il a des créances ou non auprès d’une administration. Si tel est le cas, alors on ponctionnera ce qu’il faut pour rembourser en priorité l’État. Pour cela, l’AGRASC interroge 12 créanciers publics avant toute restitution. Ce qui rend, à mon sens, notre action beaucoup plus crédible et cohérente.

Une fois que les biens meubles ou immeubles sont confisqués par une juridiction de jugement, (la confiscation est une peine complémentaire que l’on peut rajouter à l’une des peines principales que sont la prison et l’amende) et que le jugement est définitif (les voies d’appel sont épuisées), ils sont désormais dévolus à l’État. Généralement le bien est vendu et la somme produit de la vente vient abonder le budget général de l’Etat.  Comme je le disais précédemment, si une victime se fait connaître lors du procès elle va pouvoir se faire indemniser sur le montant des confiscations qui ont été prononcées dans le dossier. Par ailleurs, une partie de ces sommes vient alimenter « le fonds de concours drogue », une enveloppe gérée par la MILDECA (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et les conduites addictives). 35 % de cette enveloppe sera allouée à la police pour améliorer la lutte contre le trafic de stupéfiants et le blanchiment de trafic de stupéfiants. (25 % pour les gendarmes et autres administrations) ».

- L’ENSP forme cette semaine les trois corps de la police nationale sur cette thématique. En quoi est-ce important de réunir l’ensemble de ces acteurs sur une même formation ?

« La lutte contre les avoirs criminels fait appel à différents acteurs et administrations (l’AGRASC, les magistrats, les domaines, le service de publicité foncière…etc.). Nous sommes donc face à une chaîne qui va de la détection à la confiscation, et les policiers sont au départ de cette chaîne ! Non seulement l’ensemble des acteurs doivent se connaître pour pouvoir travailler main dans la main, mais en plus il va falloir un investissement particulièrement important des policiers. Car s’il n’y a pas d’identification au départ, il n’y aura pas de saisie ni de confiscation. Tout part de l’enquête de patrimoine. Par conséquent, former le gardien de la paix comme le commissaire est extrêmement important. D’abord parce qu’un consensus doit s’instaurer, une volonté commune, au sein de chaque corps d’aller récupérer les avoirs criminels. Que ce soit celui qui mène l’enquête ou celui qui signe et fait partir l’enquête au Parquet ensuite. On ne peut le faire que si chacun connaît le rôle de l’autre. C’est pour cela que la formation d’aujourd’hui s’adresse à tous, de l’enquêteur « de base » jusqu’au chef de service, avec cette conviction commune qu’on ne peut véritablement punir un criminel que si on récupère le profit du crime. Une nouvelle fois : le crime ne doit pas payer » !

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